Comment éviter la rupture de la capsule postérieure au cours de l'intervention de la Cataracte ?

La Phako-Fragmentation manuelle

F. Deschatres

C'est en examinant les statistiques publiées par les assurances des complications en Ophtalmologie que je me suis aperçu que les plaintes les plus nombreuses dans notre spécialité surviennent à cause des ruptures de la Capsule Postérieure et la projection du Cristallin dans le vitré au cours de la chirurgie de la cataracte.

Cela ne nous surprend pas car malgré l'habileté de nos collègues chirurgiens du Segment postérieur, cela reste une complication grave pour le patient et ennuyeuse pour le praticien. Certes c'est une complication rare compte tenu du nombre d'interventions pratiquées pour la Cataracte mais cela ne diminue pas l'importance de la gravité de celle-ci lorsqu’elle se produit.

Si je publie de nouveau aujourd'hui sur ce sujet ce n'est pas pour parler de l'aspect juridique des complications de l'intervention de la cataracte mais pour exposer une technique avec laquelle j'ai opéré un millier, voire plus, de cataractes en n'ayant plus la crainte d'avoir une rupture de la capsule postérieure. J'ai déjà publié plusieurs fois cette technique y compris à la Société Française d'Ophtalmologie, films à l'appui mais je n'ai pas été suivi. Je pense que le tort que j'ai eu c'est de l'avoir présentée comme une nouvelle méthode de fragmentation du cristallin ce qui est vrai et de ne pas avoir suffisamment insisté sur le fait que celle-ci évitait aussi de rupture de la capsule postérieure et de projeter le cristallin dans le vitré.

Avant de vous en faire l'exposé, j'insiste sur le fait que ce que je vous présente ne modifie pas radicalement l'intervention de la cataracte. Le temps de l'hydrodissection et de la phakophagie restent les mêmes c'est celui de la fragmentation qui se trouve modifié. C'est donc ce temps qu'il faut essayer de changer si on ne veut plus avoir la complication qui est notre sujet.

Il est incontestable que la technique des sillons cruciformes est bonne, elle donne satisfaction dans la majorité des cas mais c'est au moment de la fragmentation que la rupture de la capsule postérieure peut se produire? Quelles en sont les raisons ?

  1. La première, c'est que la capsule postérieure reste accolée à la face postérieure du cristallin malgré l'hydrodissection et elle peut être facilement atteinte par le phako-émulsificateur. Malgré l'excellente qualité des phakoémulsificateurs la maîtrise parfaite de l'intensité des ultrasons lors de la fragmentation est difficile à obtenir surtout en cas de cataractes dures et lorsqu'on débute dans cette chirurgie.
  2. La seconde, c'est que l'on exerce sur le cristallin une pression d'avant en arrière non contrebalancée par une force opposée ce qui a pour effet de pousser le cristallin vers l'arrière en cas de rupture de la capsule postérieure.

Donc le problème vient de l'utilisation du phakoémulsificateur pour fragmenter le cristallin.

Je propose donc une nouvelle technique, très simple, douce, complètement manuelle qui a l'avantage d'éviter la rupture de la capsule postérieure. Le phako-émulsificateur ne sera utilisé que pour émulsifier les masses cristalliniennes obtenues dans le temps opératoire suivant.

L'idée m'est venue de la manière suivante :

Un jour, au cours de l'intervention d'une cataracte après avoir fait le capsulorhexis, en fin d'hydrodissection du cristallin, celui-ci se subluxe et «sort l'épaule» dans l'aire pupillaire. Je pense que cet incident, sans gravité, m'était déjà arrivé d'autres fois. J'avais pour habitude d'injecter du Visqueux dans la Chambre Antérieure et de remettre le cristallin en place avant de procéder à sa fragmentation à l'aide du Phakoémulsificareur. Mais cette fois ci, en plus de l'injection du visqueux en avant du cristallin, j’injectais aussi du visqueux en arrière de celui-ci tout en évitant de compléter la luxation du cristallin dans la Chambre Antérieure. L'intérêt de ce geste est de repousser la capsule postérieure loin en arrière. (En principe, la partie arrière du cristallin restée en place est retenue partiellement par le bord du Capsulorhexis. Ainsi le cristallin n'a pas tendance à aller vers l’avant, c’est la capsule postérieure plus faible qui part vers l'arrière. Si cela arrivait, il est toujours possible de repousser le cristallin en injectant du visqueux dans la CA).

À l'aide de ma main droite, en passant par l'incision principale je glissais alors un micromanipulateur à embout olivaire en arrière du cristallin au niveau de son pôle postérieur pour faire contre-pression et empêcher celui-ci de partir en arrière.

A l'aide de la main gauche, j’introduisais, par l'orifice de contre-ponction, un autre micromanipulateur à embout olivaire et à partir du pôle antérieur du cristallin, je transperçais ce dernier d’avant en arrière à la rencontre du premier micromanipulateur placé en arrière du cristallin «comme un poignard». Quelle ne fut pas ma surprise de voir le cristallin se fendre en deux parties facilement ! Je répétais la même opération sur les deux fragments obtenus. Le cristallin était ainsi complètement fracturé sans que je n'ai encore utilisé le moindre ultrason..

Je n'avais exercé aucune pression sur la capsule postérieure puisque celle-ci était à distance du cristallin et la petite pression que j'avais faite sur le cristallin était contrebalancée par le micromanipulateur placé en arrière du celui-ci. L'intervention n'avait donc plus dorénavant qu'à se dérouler de manière habituelle.

Plusieurs remarques :

  • la fracture du cristallin s'était produite «en douceur» par l'introduction de seulement deux petits micromanipulateurs, sans utiliser «le phako».
  • C'est en réfléchissant à posteriori que je compris pourquoi le cristallin se fendait si facilement en le transperçant avec un micromanipulateur mousse de petit volume. Il faut se rapporter à l’histologie du celui-ci qui nous apprend qu'il a une structure lamellaire «comme un oignon». Ces lamelles se dissocient facilement les unes des autres et une fente provoquée en avant se poursuit d'elle-même vers l'arrière.
  • Par la suite, j'ai fait fabriquer deux micromanipulateurs spécifiques, j'ai obtenu du fabricant qu'il m'en fasse l'un en forme de cupule pour être placé derrière le cristallin et l'autre en forme de coin (à fendre le bois) pour transpercer le cristallin. Avec l'habitude et ces deux micromanipulateurs j'ai pu fragmenter des cataractes de plus en plus dures m'évitant dans la grande majorité des cas de pratiquer une extraction extracapsulaire.
  • Cette fragmentation peut donc être faite sans avoir besoin du phakoémulsificateur ou d'introduire un instrument coupant dans la CA. Deux petits micromanipulateurs, l'un cunéiforme pour l'avant du cristallin, l’autre en forme de cupule pour l'arrière, suffisent. En l'absence de ceux ci et pendant longtemps j'ai utilisé deux micromanipulateurs à embout olivaire suffisants pour les cataractes les plus habituelles.

Donc l'intervention de la cataracte faite de cette manière peut se résumer ainsi :

  • Premier temps Capsulorhexis
  • Deuxième temps Hydrodissection et sub-luxation du cristallin
  • Troisième temps Phaco-fragmentation manuelle
  • Quatrième temps Phaco-émulsification

Avant de terminer cet exposé, dans le souci d'être complet je dois d'ores et déjà répondre à mes détracteurs :

  • La première difficulté est, me semble-t-il, de vaincre l’habitude. Changer de méthode alors que l'on opère avec succès demande toujours un effort...On oublie rapidement les difficultés et parfois les complications que l'on a eu dans nos débuts (et le petit stress habituel lors de la phako-fragmentation). J'affirme avoir été plus «détendu» à partir du moment où j'ai utilisé ce processus.
  • Pour la deuxième question, on m'a fait remarquer que l'endothélium cornéen devait être plus fragilisé que dans la méthode des sillons cruciformes utilisée.

    Je peux répondre que la fracture du cristallin par les micromanipulateurs ne se fait pas dans la Chambre antérieure mais au niveau de l'aire pupillaire et sous couvert de Visqueux dans la CA. A aucun moment le cristallin entre en contact avec l'endothélium. La phako-émulsification se passe comme à l'habitude à distance de la cornée. Je précise que la fragmentation se fait sans utilisation du phakoémulsificateur ce qui diminue la quantité d'ultrasons utilisés surtout en cas de cataracte dure.

  • Enfin j'insiste sur le fait que j'ai fait certainement beaucoup d'interventions de cataracte de cette manière sans jamais avoir une atteinte endothéliale plus notable que dans l'intervention habituelle (bien sûr, après avoir éliminé, comme toujours, les « Cornéa Guttata »).

Enfin je vous cite mon expérience personnelle en matière de crainte endothéliale. À la suite du stage que j'avais fait chez le Dr Kelman à New-York et suivant ce qu'il m’avait appris lors de mes premières Phakos en France, je faisais alors de la manière suivante : après ouverture de la capsule antérieure, je luxais complètement le cristallin en avant de la pupille et j'émulsifiais complètement dans la Chambre antérieure. Charles Kelman disait qu'il fallait faire « le Caroussel » c'est à dire que l'émulsification se faisait progressivement par le bord du cristallin qui tournait sur lui-même dans la Chambre Antérieure. Il faut bien reconnaître qu'il y avait un «grisé» important de l'endothélium le lendemain. La cornée mettait parfois une semaine avant de retrouver sa transparence. Si, par contre, cela n'est pas recommandable, je n'ai jamais observé une seule dystrophie endothéliale durable postopératoire.

Je crois très sincèrement être utile aux ophtalmologistes et à nos patients en exposant de nouveau cette méthode car :

  • c'est une méthode que j'ai utilisée moi-même pendant une quinzaine d'années
  • elle est douce et évite le stress de la fragmentation du cristallin avec le phako-émulsificateur dont la fonction n'est pas de «fragmenter» mais de «phager». Cette méthode est donc recommandée pour les jeunes ophtalmos commençant en chirurgie.
  • Elle peut être utilisée comme méthode complémentaire à la méthode habituelle. En effet il y a dans notre pays beaucoup d'opérateurs très habiles qui font beaucoup d'interventions très rapidement ; ceux-ci n'ont peut être pas besoin de changer leur protocole... bien que le risque de rupture soit toujours présent. Mais pour d'autres qui opèrent moins mais tout de même très bien cette méthode leur apportera une sécurité tranquillisante. De plus il est évident qu’en cas de cataracte dure - ce que l'on rencontre parfois en France mais surtout hors de France - la qualité de cette deuxième méthode est évidente. Avoir une complication importante alors que l'intervention de la cataracte a acquis une réputation de bénignité dans le public, se heurte à l'incompréhension. Cela nous oblige d'autant plus à éviter des complications même si notre compétence n'est pas mise en doute.